Les barrages routiers, la montée sur la capitale de nos agriculteurs en colère, les images données et relayées sur l’écran de nos téléviseurs, les prises de position des uns et des autres, la mort d’une agricultrice et de sa fille, percutées lâchement par une voiture refusant un barrage de tracteurs agricoles, de remorques et de bottes de paille, sans oublier les déplacements du Premier ministre Gabriel Attal et du ministre de l’Agriculture Marc Fesneau, etc. certains de nos lecteurs ont pu penser aux prémices d’une nouvelle Révolution… 

Les déclarations des uns et des autres, nous ont même amené à croire, que les écologistes avaient accouché de nouveaux « Robespierre » en jupons. A ce propos revoir sur BVMTV, le face à face de dimanche dernier de Marine Tondolier, secrétaire nationale de EELV et de Robert Ménard, maire de Béziers…

Cette actualité brûlante et soufrée, nous a donc poussé à nous rendre sur le terrain, afin de tenter de comprendre quelque chose dans ce « no man’s land » (pour ne pas dire : pétaudière), administratif de la politique agricole française, à la botte de Bruxelles, et donc de l’Europe, sous les ordres d’une armée de technocrates qui n’ont jamais piloté un tracteur agricole, trop habitués aux voitures de fonction et aux chauffeurs.

Une jeune « chef d’exploitation »

Grâce à un ami commun, j’ai rencontré Marie, jeune « chef d’exploitation » d’une propriété aveyronnaise répertoriée en « Zone Montagne » et qui quotidiennement est à la « stabu », matin et soir, auprès de son troupeau de vaches « Aubrac », dès leur retour de la montagne, où durant l’estive : du printemps à l’entrée de l’hiver, elle s’y rend tous les jours.

De retour, elle prend place à son bureau et devant son ordinateur, son téléphone portable à portée de main, elle devient : secrétaire, employée de banque, comptable et presque mécanicienne, plombière vétérinaire, nourrice…

Marie passe son temps à téléphoner, taper sur le 1, le 2, le 3, pour n’obtenir qu’un silence. Elle rédige « e-mails » – lettres, notes , sans réponse…et mène un vrai combat contre les « absurdités » d’une administration, dont les fonctionnaires noyés dans la paperasserie des « normes » se renvoient la balle. 

Il est alors très difficile pour elle, de partir à l’assaut de cette nouvelle «Tour de Babel » de la technocratie triomphante, badigeonnée aux couleurs de l’écologie. 

Il faut savoir aussi, que cette politique agricole nouvelle s’est également équipée d’inspecteurs et de contrôleurs pour surveiller en permanence deux cheptels : animal et humain.

Très simplement, Marie me raconte alors, que le plus souvent les contrôleurs viennent de Toulouse, et que fort heureusement, ils ne sont pas armés, et d’ajouter : « En outre, des satellites labourent le ciel pour relever les moindres changements qui pourraient bousculer la PAC : Politique Agricole Commune, à cause d’un bosquet, d’un rocher, d’un ruisseau, d’un chemin, d’un réservoir d’eau, ou la présence d’autres animaux qui ne seraient pas des vaches péteuses polluantes, ou des ânes non déclarés, et réduire ainsi le montant de la subvention accordée ».

Il est vrai aussi, que le labeur quotidien de ces fonctionnaires n’est guère facilité par la création de « zones » qui dans un même département différencient les cultures et les élevages, mais aussi les cultures entre elles, tout comme les élevages, afin de distribuer des subventions différentes, selon une logique pragmatique des territoires.

On peut aisément comprendre alors, que ces différences créent fatalement des jalousies. Tant et si bien, que l’on peut se demander, si ce gros ver de terre européen n’a pas été mis dans le fruit de la PAC pour miner les fondations ancestrales d’une profession ? D’où la naissance de plusieurs syndicats, régulièrement attaqués par une politique écologique toujours prête à « casser du paysan », pour favoriser les grands groupes  alimentaires, tel « Lactalis », qui en 2021  a encaissé 13,7 Millions d’euros de la PAC.

Elle a choisi l’herbe et les bovins.

Epouse et mère, Marie ne se plaint pas outre mesure. Elle a l’humour qu’il faut. Elle a fait le choix de ce métier, à l’issue d’études supérieures. De son plein gré, elle a décidé d’abandonner une capitale régionale pour retrouver à l’âge de 22 ans la propriété familiale. Mais pour devenir « paysanne », elle n’a pas pu l’être du jour au lendemain. Elle n’a pas bénéficié d’un coup de baguette magique. 

Non, l’héritière a repris des études agricoles et obtenu un BTS (Brevet de Technicien Supérieur). « Nous étions alors 14 élèves : 10 filles et 4 garçons » m’avoue-t-elle. « Parmi nous, nous avions même un ingénieur aéronautique, un comptable, passionnés eux-aussi par l’agriculture. J’en suis sortie, pour me mettre sur la ligne de départ d’installation de Chefs d’exploitation en polyculture (culture de l’herbe exclusivement), pour reprendre l’exploitation familiale ». 

Il faut savoir, que la profession d’agriculteur ne se transmet pas de père en fille. Il reste encore de nombreux barrages administratifs (et non routiers) à franchir, tel : le parcours à l’installation qui donne droit aux aides d’installation D.J.A (Dotation Jeune Agriculteur), qui en fait est la première corde au cou obligeant son bénéficiaire d’en respecter les clauses, en particulier celle de pouvoir exploiter en toute liberté sa propre terre familiale.

Je ne peux alors qu’en conclure, que l’on ne rigole pas tous les jours dans les bureaux des fonctionnaires de l’agriculture.

Un veau qui n’aime pas les boucles d’oreilles…

A l’issue de notre entretien, elle pose sur la table le dossier des cartes d’identité des vaches appelé pompeusement : « Le passeport du Bovin » qui est doté de « l’Attestation de Santé » de l’animal, avant de me raconter qu’un beau matin, un veau avait ses oreilles enflées. Appelé, le vétérinaire concluait, que cet animal ne supportait pas les boucles d’oreilles, et qu’il ne restait donc plus que deux solutions  à l’agricultrice : (1) – On déboucle l’animal,  on soigne les oreilles et le veau va mieux, mais… on est hors la loi, puisque l’animal est non identifié.  (2) – On laisse les boucles aux oreilles du malade qui est alors menacé de surinfection tout en mettant l’agricultrice en contradiction avec « le bien-être de l’animal » imposé par la même administration et les associations spécialisées.

Bref, on marche sur la tête dans l’Absurdie.

Ne nous plaignions surtout pas, que nos agriculteurs aient eu la présence d’esprit de mettre à l’envers les pancartes de nos villes et de nos villages. Ils ont de l’humour, et ne pensent que l’absence de CO2 dans le ciel de France va sauver la planète. Ils se souviennent qu’ils ont déjà eu droit aux nuages de Tchernobyl.  Ceux qui se sont arrêtés à la frontière française, alors même que nous n’avions plus de frontière…

J’ai suivi Marie dans le maquis d’un alphabet de normes, qui sont tout autant de signes de piste, au départ d’une simple « stabu » de « Zone de Montagne ». 

Rappelons, que le ciel de la montagne est régulièrement sillonné par les satellites mouchards de la PAC (Politique Agricole Commune). Rappelons aussi, que les éleveurs et leur élevage sont régulièrement visités sur le terrain par des inspecteurs (trices) venus « non armés » de Toulouse.

A leur sujet, notre jeune agricultrice se souvient d’une inspectrice chaussée de talons aiguilles, qui venue rendre visite au troupeau n’avait pris aucun risque dans l’herbe en restant les pieds au sec dans un chemin d’Aubrac, sous le prétexte qu’elle avait oublié ses bottes dans la « Capitale des Violettes ». 

Le père de Marie d’ajouter alors avec humour, « que la dame aurait dû venir se promener dans son jardin, afin de pouvoir repiquer ses salades… »

Aux jumelles !

Quant aux inspecteurs sur le terrain à la fin de l’estive, ils avaient tenté de lire aux jumelles, et avec difficulté, les pendants d’oreilles qui servent de cartes d’identité aux animaux. Il est vrai qu’après cette longue période de liberté, il était très difficile de s’approcher des bovins pour leur tripoter les oreilles, ni de jouer les toreros avec le taureau futur père.

Dans ce voyage en Absurdie, où l’on a enfin pris conscience qu’un Paysan tricolore, les bras levés pouvait se retrouver au « gnouf » parce qu’il avait franchi une ligne rouge « Darmaninesque » défendue par des blindés gendarmesques, du côté du Ventre de Paris. Une ligne, frontière toute nouvelle, alors que Bruxelles n’en veut plus, et que le Président de la République estime lors de ses vœux aux Français, que les jeunes émeutiers parisiens n’étaient en fait, que des adolescents qui s’ennuyaient puisqu’ils ne pouvaient pas partir en vacances, ni à la mer ni à la montagne…

Mais de qui se moque-t-on ?

Fort heureusement, cela peut amener ses électeurs, dont il n’a plus que faire, à réfléchir un instant à la « Liberté – l’Egalité et à la Fraternité », qui n’ont pas l’air d’être la tasse de thé des technocrates de Bruxelles, plus enclins à servir la soupe et le caviar aux capitalistes du Marché à tout prix, qu’aux bouseux qui marchent aux culs des vaches, dont les pets dérèglent le climat, selon bon nombre d’idéologues de l’écologie politicienne, qui pour le moindre pet montent en chaire pour effrayer le « pékin » qui passe…

La Mecque des Agriculteurs…

En attendant, et pour ne pas vous embrumer le cerveau, voici quelques traductions des normes, plus quelques autres fantaisies que Marie propose aujourd’hui à nos lecteurs, qui eux n’ont pas à se soucier quotidiennement de leurs petits veaux, ni de leurs revenus mensuels… Pour notre jeune agricultrice, le langage paysan actuel est constitué d’une vraie forêt d’acronymes, dont le premier est peut-être celui du fameux centre de gestion, appelé communément : CER (Centre d’Économie Rurale). Ce CER est spécialement chargé de compter les sous des agriculteurs (parce qu’ils en ont beaucoup ?), et de les accompagner dans le remplissage des dossiers, en n’oubliant pas de facturer leurs prestations.

Marie nous avoue que : « les formulaires sont complexes et visent à leur indiquer simplement qu’ils ne peuvent pas être pris en compte puisque les critères nombreux sont de nature à ne pouvoir correspondre qu’à une infime minorité… Pour autant qu’il y en ait une !   Cet organisme semble très surpris aujourd’hui des revendications des agriculteurs, et ne comprend pas pourquoi avec nos bons résultats comptables, nous sommes à ce point en difficultés ». Et de poursuivre : « Nous sommes devenus des RIB anonymes que tout le monde connaît (Relevé d’Identité Bancaire), nos comptes sont le théâtre de versements conditionnés, et de prélèvements obligatoires, tandis que l’on nous impose le prix de vente de nos produits, sans jamais pouvoir répercuter ce surcoût, contrairement à d’autres professions, et c’est bien le problème ! »

Mais ce n’est pas tout ! 

Après avoir examiné le RIB, les agriculteurs ont alors la chance et le plaisir d’avoir une armée de techniciens chevronnés pour les accompagner dans les différentes techniques de nos élevages – production. Et Marie de nous confier avec le sourire : « En gros, on vous explique comment vous devez travailler, et ces conseils professionnels sont bien entendu PSF (prestation de services facturés). C’est la Chambre d’agriculture, notre « Mecque » à tous. On y tourne autour parfois, sans « péleriner », puisque c’est aussi le siège de notre syndicat majoritaire la FDSEA (Fédération Départementale Syndicat Exploitant Agricole) défenseur de notre profession… »

Pourquoi pas une médaillle aux J.O. ?

A noter en passant que dans l’épisode de la montée des tracteurs à Paris, ce syndicat s’est plutôt fait discret, et que l’on peut naïvement se poser la question, s’il n’y aurait pas eu un malaise concernant un précédent accord à propos de la taxe sur le GNR, (Gazole Non Routier), contrairement à un autre syndicat identifié par les « Bonnets jaunes » de la CR (Coordination Rurale), bien présent dans les différentes manifestations ? 

« Syndicats ou pas nous sommes aussi  tous cotisants solidaires ou « solitaires » face à notre MSA (Mutualité Sociale Agricole) organisme formidable qui prélève vos cotisations (40 %) de vos revenus), et qui vous laisse le plus grand plaisir de taper 1, taper 2, taper 3,lorsque vous voulez un éclairage sur leur nébulosités administratives… » poursuit Marie, avant de conclure : « Mais on est déjà bien entraîné à ce sport de haut niveau puisque nous avons largement été confronté à notre DDT (Direction Départementale des Territoires) notre « Centre d’entraînement » le plus efficace au monde, qui peut-être nous permettra d’obtenir une médaille aux prochains J.O… » 

SVP : traduisez : Journal Officiel.

Gérard Galtier